Bibliothérapie, un livre pour guérir
Histoire vraie vécue en salle d’attente
J’entre dans une salle d’attente baignée de lumière. Au moins une dizaine de sièges… Presque tous occupés… Ce n’est pas de bon augure… J’estime mon temps d’attente à 1 h 45, si tout va bien. C’est long et lassant, mais cela me permet d’avancer dans mon travail. Le calme et le sérieux règnent. Seule la toux d’une dame déchire le silence. Pas de doutes, les tristes mines nous renseignent sur le lieu, il s’agit bien du cabinet d’un médecin en plein mois de décembre. Seule une femme sort du lot, une dame pétillante d’un certain âge qui me cherche du regard, ayant envie d’un brin de causette. Le temps passe et nous ne nous retrouvons finalement plus que toutes les deux.
Je fais enfin la connaissance de Thérèse. Quelle vie incroyable ! Je suis chanceuse qu’une dame de 82 ans partage son histoire avec moi. Et pas n’importe quelle femme, une femme inspirante, un modèle de résilience et de courage ! Une femme qui, pour des raisons douloureuses, a fait un choix rare et compliqué à son époque : elle a quitté son mari et élevé seule ses 4 enfants, réussi à trouver un travail alors qu’elle était femme au foyer, cumulé avec des tâches de couture pour joindre les deux bouts, passé le permis sur le tard alors que les femmes conduisaient peu. Thérèse s’est occupée de ses parents et a recueilli un enfant supplémentaire. Sans compter tout ce qu’elle ne m’a pas dit… Face à son courage, je me suis sentie toute petite. Je lui dis que je la trouvais extraordinaire, hors du commun, inspirante. Elle me confia alors que tout n’avait pas été si facile, et que si maintenant, au bout de sa vie, elle était profondément heureuse, c’est parce qu’elle avait sombré…
Sombré si profond dans la mélancolie que la seule issue possible était la mort. C’était arrivé insidieusement, quelques mois après son divorce difficile. La vie semblait avoir quitté Thérèse. Elle ne pouvait plus sortir du lit, épuisée dès le réveil par des nuits sans sommeil. À cette époque, elle perdit 15 kilos, n’ayant plus que la peau sur les os. Ayant toujours été vaillante, elle se détestait d’autant plus. Rappelons-nous que dans les années 60, la dépression était considérée comme de la fainéantise, « un bon coup de pied au derrière » disaient les anciens. Dieu merci, sa voisine prit le relais et l’épaula comme elle le put. Elle contacta le médecin de famille qui lui prescrivit immédiatement des anti-dépresseurs, des anxiolytiques et des somnifères. Aussi, l’état de Thérèse s’améliora nettement. Je soupirais de soulagement, toujours installée dans cette salle d’attente alors que le jour diminuait, heureuse que « ma » Thérèse ait dépassé cette épreuve. Mais Thérèse secoua la tête lentement de gauche à droite… « Je n’étais plus moi-même, je ne me reconnaissais plus, oui j’allais mieux, je réussissais à fonctionner, à faire ce qu’il y avait à faire, mais le cœur n’y était pas. Ma voisine et le toubib ne m’écoutaient pas. Pour eux, tout allait bien. Je me sentais bien seule avec mon mal-être. Et finalement, je les remercie. C’est grâce à eux que ma vie a changé. »
Mes yeux écarquillés, plein de points d’interrogation l’incitèrent à poursuivre.
Thérèse prit les choses en main et se rendit à la bibliothèque de la ville la plus proche. Elle emprunta tous les ouvrages médicaux disponibles, elle lut et relut tout ce qui touchait aux troubles psychiatriques. En quelques mois, la dépression n’avait presque plus de secrets pour elle. Cette frénésie de connaissance s’amplifia. Elle élargit ses lectures à la psychologie. Elle, qui n’avait pas été longtemps à l’école, se découvrait une passion pour la lecture et la médecine. Elle me dit alors : « Le jour où j’ai compris le fonctionnement des neurotransmetteurs dans mon cerveau, j’ai ressenti un immense soulagement ! Non, je n’étais pas folle ! Et de savoir tout ça m’a permis de guérir, enfin, je veux dire de vraiment guérir cette fois. J’ai retrouvé le plaisir de faire des petites choses toutes simples que j’aimais faire auparavant comme faire des madeleines, aller ramasser des châtaignes. »
Thérèse touchait là un point sensible, étant moi-même passionnée de lecture. Ma curiosité était à son comble et je lui demandai si un livre en particulier avait eu un impact plus important.
La porte s’ouvrit brusquement, le médecin était là, c’était au tour de Thérèse. Elle se leva prestement, comme l’aurait fait une jeune femme et certainement pas une femme de plus de 80 ans, et me dit, les yeux pétillants et un superbe sourire aux lèvres : « La femme rompue, de Simone de Beauvoir ». Et avant de s’engouffrer dans le cabinet, elle énonça, devant le médecin, très taquine : « Je ne suis pas une bonne cliente pour mon médecin ! À mon âge, je ne prends qu’un tout petit comprimé pour la tension, mon secret ma petite dame : les livres. Comprendre m’a permis de dépasser tout ça et de faire les bons choix. Et je peux vous le dire, j’ai eu une belle vie ! Si je m’éteins cette nuit, j’en aurai bien profité ! »
Je me dépêchai de me lever pour saluer cette grande Dame en lui prenant la main et en la remerciant chaleureusement pour ses confidences. Juste avant que la porte ne se referme, elle me dit une dernière chose : « Soyez sage… Mais pas trop ! »
Vous vous en doutez, dès le lendemain, je m’arrêtai dans la première librairie afin de découvrir le fameux livre de Thérèse. Je fis également des recherches sur le fait de se soigner par les livres et découvrit pour la première fois le concept de BIBLIOTHÉRAPIE.
Qu’est-ce que la bibliothérapie ?
Il s’agit d’une forme de thérapie qui consiste à utiliser les livres et tout support écrit à des fins thérapeutiques.
- Romans de fiction.
- Autobiographies.
- Récits de guérison.
- Livrets d’informations.
- Poésie.
- Témoignages.
- Articles des sites Internet
- Livres numériques…
Le concept est que la lecture de certains textes ou de certaines œuvres littéraires peut nous aider :
- à faire face à différents problèmes en nous soutenant émotionnellement ;
- à favoriser le bien-être psychologique, voire la guérison de troubles psychologiques ;
- comme outil d’éducation thérapeutique, en nous transmettant des connaissances ;
- par la sensation de bien-être procurée par l’acte de lire (pour ceux qui aiment lire) ;
- à mieux nous comprendre, à nous développer personnellement.
Par exemple, lire des histoires vraies de personnes qui ont dû surmonter des épreuves similaires aux nôtres peut nous redonner espoir, créer du lien (même à travers la lecture), donc nous réconforter, mais aussi nous inspirer et nous motiver à trouver la force en nous et le courage de faire face à certaines situations particulièrement éprouvantes.
Comment ça marche ?
La bibliothérapie peut prendre différentes formes, à déterminer en fonction des objectifs et des besoins de chacun.
- Prescriptions de lecture. En complément de sa consultation, un médecin ou un thérapeute peut être amené à vous recommander la lecture d’un livre en particulier. Son choix s’orientera bien évidemment en fonction de vos préoccupations, défis du moment ou problèmes. De très nombreux livres abordant tous les troubles psychologiques (dépression, anxiété, phobie sociale, confiance en soi…) sont disponibles.
- Clubs de lecture thérapeutiques. Sur le même format qu’un club de lecture traditionnel dans lequel les participants partagent leurs coups de cœur littéraires, le club de lecture thérapeutique se distingue toutefois, car l’objectif final est, à travers le livre choisi, de réussir à exprimer ses émotions, à partager ses tourments dans un groupe bienveillant. Ceci permet fréquemment d’élargir ses perspectives et de dépasser certaines situations.
- Recherches et lectures personnelles.
Un peu d’histoire…
En France, c’est une pratique encore assez marginale et peu connue. Et pourtant, c’est loin d’être une idée nouvelle.
Dès la Grèce antique, il apparaît que déclamer des discours ou des poésies favoriserait la guérison.
Puis Aristote a mis en avant les vertus curatives de l’art qui permettrait d’évacuer le trop-plein d’émotions.
En Egypte, « pharmacie de l’âme » était inscrit sur la façade de la bibliothèque sacrée de Ramsès 2.
Sans compter toutes les religions qui, par le biais des préceptes moraux qu’elles incitent à suivre, cherchent à favoriser un certain état d’équilibre psychique. D’ailleurs, la plupart de nos livres de méditation et de relaxation actuels sont issus du Bouddhisme et de l’Hindouisme.
Puis Freud (1856-1939), le célèbre psychanalyste, décida d’associer la cure de lecture en complément de la cure de parole.
Enfin, plus près de nous, au XXe siècle, Sadie Peterson Delanay, une américaine originaire d’Alabama fait figure de pionnière. Elle était bibliothécaire dans un hôpital et prescrivait des livres pour aider les soldats de la Première Guerre mondiale hospitalisés, à soulager leurs traumatismes psychologiques.
Et de nos jours, il suffit d’arpenter les rayons livres pour s’apercevoir que les livres de développement personnel et traitant de santé ont pris un essor considérable.
Si vous avez aimé cette parenthèse historique, vous apprécierez certainement l’article suivant : « À la croisée de la médecine et de l’histoire, dix médecins dont les noms brillent sur les hôpitaux parisiens. »
Est-ce prouvé scientifiquement ?
La bibliothérapie connaît un véritable essor ces dernières années, ce qui aura automatiquement des répercussions sur la fréquence de la recherche scientifique.
Plusieurs études ont été menées et ce terme est même mentionné dans des revues scientifiques prestigieuses comme The Lancet, Science, la revue Cochrane, ainsi que par les recommandations en France de la HAS (Haute autorité de Santé).
Concrètement :
D’après toutes les études cliniques publiées sur le sujet, l’utilisation de la bibliothérapie peut être utile dans :
- l’anxiété ;
- la dépression ;
- les troubles obsessionnels compulsifs ;
- les troubles phobiques ;
- le sevrage tabagique ;
- l’addiction à l’alcool ;
- les troubles du sommeil ;
- les troubles sexuels (masculins et féminins, victimes de viols ou d’inceste) ;
- les troubles du comportement alimentaire ;
- en soutien pour accompagner les personnes atteintes de maladies chroniques.
« Que la littérature offre toutes les ressources d’une pharmacie pour l’âme, depuis les fortifiants et les vitamines jusqu’aux antidépresseurs, voilà qui ne choquera pas un lecteur averti. »
A PIETROBELLI
Les limites de la bibliothérapie
Bien évidemment, la limite principale est directement liée au lecteur. Pour que cela fonctionne bien, il est préférable que la personne ait un attrait pour la lecture. De plus, et même parmi les personnes aimant lire, le manque de temps est fréquemment mis en avant.
L’autre limite est que de nombreux médecins méconnaissent cette pratique et ont tendance à penser que la majorité de leurs patients ont un intérêt limité pour la lecture et ne comprendraient pas le fait de se voir prescrire un livre.
Cet à priori a été contredit par un sondage réalisé en médecine générale en région PACA, dans lequel on apprend que 90 % des patients accepteraient de recevoir des conseils de lecture de leur médecin.
Ça m’intéresse, comment faire?
Voici 10 conseils pour bien débuter :
- Identifiez vos besoins : Dans quels domaines de votre vie est-ce que vous souhaitez apporter des changements, des réflexions, des guérisons ? L’anxiété ? Une maladie chronique à mieux gérer ? Le sommeil ? Le stress au travail ?
- Choisir les livres pertinents par rapport au thème choisi. Pour cela, vous pouvez faire une recherche sur Internet, aller à la bibliothèque, fouiner sur le site « Livres-sur-ordonnance », poser la question sur les réseaux sociaux « Livres-sur-ordonnance » ou sur les forums dédiés à la passion de la lecture. Personnellement, j’ai beaucoup de réponses à mes interrogations sur la page Facebook « la fureur de lire ».
- MAIS assurez-vous que le livre choisi vous intéresse et vous donne envie. Pour cela, fiez-vous à votre intuition.
- Créez-vous ou choisissez un espace de lecture agréable. Lire dans un endroit calme et confortable comme un hamac, un bain chaud, bref ce qui fait en-vie!
- Trouvez un moment de la journée où vous pouvez vous consacrer à la lecture sans être (trop) dérangé.
- Lisez avec attention. Prenez votre temps, soyez attentif aux émotions, aux pensées et aux réflexions qui émergent pendant votre lecture. N’hésitez pas à prendre des notes.
- Après avoir lu le livre, prenez le temps d’y réfléchir. Quel impact ce livre a-t-il eu sur moi ? Qu’est-ce que j’ai appris ? Qu’est-ce que j’ai envie de mettre en place ? Comment les idées du livre ou les histoires m’ont touché ? Vous pouvez en discuter avec un proche bienveillant ou noter vos pensées dans un carnet.
- Explorez différents genres et auteurs, il serait dommage de vous limiter à un seul style, car cela permet d’élargir vos horizons et d’explorer de nouvelles idées.
- Faites preuve de bon sens : n’hésitez pas à consulter un professionnel de santé si nécessaire. En effet, la bibliothérapie est un complément utile, mais ne doit pas se substituer à une aide médicale appropriée si besoin.
- Restez souple ! La bibliothérapie, c’est flexible. Adaptez tous ces conseils à vous. Le but est de vous apporter du bon, de vous engager dans une expérience personnelle et de tirer profit des livres donc faites-vous confiance et faites-vous plaisir !
Vous avez du mal à prendre du temps pour vous ? L’article « Prendre du temps pour soi » pourra vous aider !
« Je pense que les livres sont comme les gens, dans le sens où ils peuvent s’inviter dans votre vie au moment où vous avez le plus besoin d’eux. »
Emma THOMPSON
Maintenant, c’est à vous !
À votre tour, recommandez-moi un livre qui parle de santé, ou tout simplement un livre que vous avez aimé et qui vous a aidé. Vous pouvez le noter juste dessous, dans les commentaires. Merci infiniment pour vos conseils de lecture.
Merci de m’avoir lue.
Maud
Bonjour Maud,
Merci pour ce partage très inspirant.
Le concept de thérapie par les livres m’intrigue et je suis curieux d’en découvrir davantage à travers ce blog !
Julien
Bonjour julien, sans forcement connaitre le concept de bibliothérapie, nous sommes nombreux à aimer lire car ça nous fait du bien et il arrive qu’une phrase, une idée nous fasse évoluer, tout simplement. Merci pour votre commentaire.
On a tous, enfin j’espère, à un moment rencontré une Dame Thérèse, et je trouve cela très chouette et touchant. Au final, sans savoir qu’il s’agit d’une pratique, la bibliothérapie a permis de soigner, beaucoup d’entre nous, c’est tellement bien les livres. Un livre que j’ai beaucoup aimé, parmi tant d’autres, « Tomber sept fois, se relever huit » de Philippe Labro. Voilà un livre qui sert de thérapie.
Merci Marie pour ce partage. Je l’ai lu il y a des années et j’ai aimé le fait qu’un homme « public » ose parler de dépression. Le sujet de la santé mentale est encore tabou, c’est important de comprendre que la dépression n’est pas de la faiblesse et qu’il est possible de s’en sortir. Bienvenue sur le site et merci infiniment pour tous vos commentaires.😊 Maud (PS: Je suis en train de résumer le livre de David Servan-Schreiber: « Guérir le stress, l’anxiété, et la dépression »)
Ton article sur la bibliothérapie est vraiment inspirant. Les conseils que tu donnes pour bien débuter sont très utiles et peuvent aider beaucoup de personnes à trouver du réconfort dans la lecture.
Merci beaucoup, et en plus, c’est si simple et sans effets secondaires!
Merci pour cet article. Je ne connaissais pas la bibliothérapie par contre, grande lectrice, je savais qu’un bon livre peut aider à la guérison de nos douleurs intérieures.
Alors vous aviez tout compris. Peu importe le nom du concept, les passionnés de lecture ressentent intuitivement tous les bienfaits de la lecture 🙂 Merci pour votre lecture et votre intérêt.😊
La lecture est clairement quelque chose de bon et ses bienfaits sont indéniables. Par contre je ne savais pas que certains médecins pouvaient prescrire des livres. Ça doit être assez rare.
Bonjour, oui c’est encore assez rare pour l’instant. Les médecins ne sont très à l’aise avec ça car ils ne savent pas forcement quels livres recommander. Ceux vraiment intéressés par la bibliothérapie aimeraient avoir accès à une banque de données de livres par pathologie pour les aider à faire les bons choix de livres. Et pour préciser: quand on parle de prescription, cela ne serait pas remboursé;). Merci pour votre lecture et pour votre intérêt.
Maud